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Liquidation judiciaire de la Cité de l’agriculture : un modèle qui rayonne ailleurs… et qui s’éteint ici

Après dix ans d’activité au service du territoire marseillais et régional, nous, salarié·es et membres du Conseil d’administration de la Cité de l’agriculture, sommes au regret de vous annoncer la liquidation judiciaire – et, de ce fait, la cessation totale des activités – de notre association.

Ni collectif citoyen, ni agence publique, ni syndicat agricole, ni laboratoire de recherche : la Cité de l’agriculture était un peu tout cela à la fois. 

Il y a dix ans, la Cité de l’agriculture a émergé afin de penser de manière systémique notre alimentation et notre agriculture :

  • Comment faire sauter les verrous et créer un système agri-alimentaire qui ne maltraite ni les agriculteur·ices, ni les mangeur·euses, ni la planète ?
  • Comment recréer du lien entre le monde urbain et le monde rural ?
  • Comment articuler à nouveau les villes à leur alimentation et comment susciter des vocations agricoles chez les urbains ?
  • Comment imaginer et bâtir un système qui ne considère pas l’alimentation comme une simple marchandise, mais comme un commun, accessible à tous·tes, à la fois partagé et protégé, au cœur d’une nécessaire transformation écologique et sociale ?

Nous pensions et nous pensons toujours que la réponse à ces questions ne peut venir exclusivement des acteurs dominants de notre système agri-alimentaire. 


Dix ans plus tard, nous constatons que notre manière de penser et d’agir a fait ses preuves : des expérimentations de terrain telles que la ferme Capri, riches en enseignements, des projets de recherche-action à la croisée des disciplines, des centaines de porteur·euses de projets accompagné·es et lancé·es sur le territoire, une complémentarité reconnue avec les acteur·ices agricoles traditionnel·les, un réseau d’entraide dense et efficace, une offre de formation spécifique à nos sujets, des événements fédérateurs drainant des publics variés.

Si bien que – ironie amère – à l’heure de notre liquidation judiciaire à Marseille, le modèle de la Cité de l’agriculture inspire les autres métropoles de France.

Chronique d’une mort semée

Pourquoi, à l’inverse des entreprises, le monde associatif n’est-il pas écouté quand il alerte sur la grande disparition qui vient ? Comme la plupart des associations, la Cité de l’agriculture n’avait pas de réserves financières pour faire face à l’austérité actuelle. Le modèle économique associatif est structurellement non excédentaire : les bonnes années sont à l’équilibre, les mauvaises viennent creuser la dette et le besoin en fonds de roulement. 

Comme la plupart des associations, la Cité de l’agriculture était bien plus que la somme des projets qu’elle portait. La tendance actuelle, fondée sur une logique de financements par projets plutôt que sur un soutien au fonctionnement général, relève d’une injonction constante à innover, souvent au détriment de l’ancrage et de la continuité.

Ce modèle tend à réduire les associations au rôle de prestataires, favorisant celles capables d’assumer une lourde charge administrative, tout en limitant leur liberté et capacité à inventer, y compris en dehors des cadres institutionnels, les réponses plurielles que les enjeux exigent.

Comme la plupart des associations, la Cité de l’agriculture a commencé à hybrider son modèle économique (c’est-à-dire à développer des activités commerciales en plus de ses activités d’intérêt général), parfois par choix, parfois par contrainte, pour se donner un peu d’air. Mais la diversification économique ne peut être la solution unique et magique au recul des financements publics. Surtout, cette hybridation se fait sur le temps long, et son corollaire est souvent une compétition accrue au sein du monde associatif.

Comme la plupart des associations, la Cité de l’agriculture n’était pas dispendieuse : salaires bas, peu de recours aux prestations externes, peu de recrutements malgré la surcharge de travail chronique.

Au tournant 2023-2024, la Cité de l’agriculture avait déjà procédé à une restructuration interne, comprenant des licenciements économiques et une réduction de ses coûts afin de retrouver l’équilibre économique. L’association s’est alors réorganisée minutieusement, adoptant une gouvernance partagée, exigeante et vivifiante, tout en réaffirmant son rôle essentiel sur le territoire.

Son collectif a porté avec force des perspectives ambitieuses pour la prochaine décennie, notamment à travers le Hameau agricole des Piémonts de l’Étoile. Ce projet foncier structurant, validé par le comité technique départemental de la SAFER aurait permis de regrouper de nombreux services à destination des fermes urbaines marseillaises et de former massivement des urbain·es à l’activité agricole (espace test agricole, logement, formation, matériel mutualisé, etc.).



La Cité tombe, les idées restent

Nous exprimons ici notre gratitude à celles et ceux qui ont tenu la barre avec nous et à nos côtés : salarié·es d’hier et d’aujourd’hui, stagiaires, volontaires en service civique, bénévoles et adhérent·es ; ainsi qu’à nos compagnon·nes de toujours et complices d’un jour — curieux·ses, habitant·es, technicien·nes et élu·es, associations, financeur·euses, porteur·euses de projets, chercheur·euses, structures sociales, réseaux et collectifs.

Colère agricole, discours populistes, grande distribution hégémonique, étalement urbain, non renouvellement des générations agricoles… le monde urbain et le monde rural sont plus que jamais renvoyés dos à dos. Or nous sentons bien que cette opposition est artificielle et stérile. Mais comment recréer des liens entre villes, alimentation et agriculture si l’on ne se donne pas les moyens de les imaginer autrement et ailleurs que dans les cadres institutionnels et économiques actuels, qui ont justement créé ce divorce ?

Ni collectif citoyen, ni agence publique, ni syndicat agricole, ni laboratoire de recherche : nous avions fait le pari d’occuper cet espace unique et original pour y réimaginer la relation ville-agriculture-alimentation avec toutes les personnes et tous les mondes concernés.

Notre disparition ne doit pas faire taire ce que nous avons révélé, ni freiner ce que nous avons amorcé avec vous tous·tes. Elle n’efface ni nos constats, ni la justesse des solutions, ni le sens des valeurs que nous portions ; elle n’efface pas non plus la manière de les mettre en œuvre : un faire-collectif où le soin, l’honnêteté, la curiosité et la joie nourrissent une dynamique précieuse de questionnement et de renouvellement, attentive à la fragilité, à la force et à la beauté de toute action et de tout rêve collectif.

Que cette fin, et les traces qu’elle laisse, servent de puissant point d’appui. Dans le contexte national de contestation contre la loi Duplomb et à l’aube des élections municipales 2026, à nous tous·tes de prendre le relais, de faire vivre ces liens, ces idées et ces actions là où elles sont possibles — et d’ouvrir celles qui ne le sont pas encore.


L’équipe salariée de la Cité de l’agriculture : Jean-Baptiste Rostaing et Alina Bekka (co-directeur·ices), Myriam Lequeux, Élise Chaintrier, Caroline Plas, Jeanne Rault, Ahmed Manessour, Thibault Soules, Margaux Allard, Roberta Rigo, Paul Vieilledent, Lise Valet, ainsi que le Conseil d’administration : Thibault Dingreville (Président), Marion Schnorf (Fondatrice), Philippine Ménier, Louis Roland, Morgane Laurens, Agathe Delouvrier, Fabrice Lextrait et Maxime Quemin.