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L'ART DE SENSIBILISER AUX DISCRIMINATIONS A TRAVERS UN CONCOURS PHOTO

Quelles sont les discriminations que chacun ou chacune peut subir dans le sport ? Comment, au contraire, sa pratique peut-elle devenir un outil d’émancipation ?

Voici le genre de questions que les participants au concours photo Discrimin’action sont invités à mettre en images. Organisé par la Ligue de l’enseignement PACA, Discrimin’action a bien grandi depuis sa création en 2015. Local, départemental puis régional, son objectif est de sensibiliser à la question de la lutte contre les discriminations. Il s’accompagne aussi d’interventions qui mélangent pratique artistique et débats. Reportage en immersion pendant la journée de délibération du jury régional.

Mercredi 21 mars, 10h. Les membres du jury du concours photo Discrimin’action arrivent petit à petit au centre social du Château de l’Horloge, à Aix-en-Provence. Administratrices, salariés ou volontaires en service civique de la Ligue de l’enseignement, membres d’associations affiliées, et même une personne extérieure en reconversion professionnelle…  Il ne manque que la nageuse professionnelle Marie Wattel, marraine de cette édition, retenue par un entraînement !

Le thème de cette année, actualité olympique oblige, est la lutte contre les discriminations par le sport. L’objectif, comme l’explique Clotilde, créatrice du concours : « Il faut choisir 15 photos qui donnent lieu à une exposition itinérante entre fin mars et juin. On continue à y parler de lutte contre les discriminations, en faisant voter tout type de public qui gravite autour de la ligue (bénévoles, enfants, centres sociaux…). En parallèle, c’est un outil qu’on utilise pour faire de la photo, de l’éducation artistique et culturelle. »

Clotilde Martin et Sophie Etienne

La forme autant que le fond

Farida, coordonnatrice du concours, explique : « On a fait une grille d'évaluation avec des critères : l'impact de l'image, sa composition, son originalité. Cela va nous aider à évaluer les photos, pour que ce ne soit pas du j'aime / j'aime pas. » Si le sujet du concours s’inscrit évidemment dans la lignée des valeurs défendues par la Ligue de l’enseignement, la forme a également toute son importance.

Farida Nhiri, chargée de développement et prospectives à la Fédération des Bouches-du-Rhône et coordinatrice du concours

Il s’agit d’apprécier de la manière la plus juste possible des participations qui peuvent provenir autant d’une classe d’élèves de primaire que d’un photographe amateur assez doué. Heureusement, graviter dans le monde de l’éducation populaire permet à notre jury d’être rôdé aux outils de décision collaborative et au souci d’équité.

Place à la discussion

Les 3 sous-groupes créés ont chacun leur technique pour arriver à la sélection de 15 clichés parmi les 36 envoyés. Certains assignent un oui / non / peut-être à chaque image, alors que d’autres procèdent de manière plus mathématique en attribuant une note par critère à chaque cliché, la moyenne donnant lieu à un classement. Cette liberté d’organisation permet à toutes et tous de s’approprier le processus de décision, et fait la part belle aux discussions.

Dans un cliché montrant des pieds autour d’un ballon, Marie-Line voit le message suivant : « Quelle que soit ton origine, tu pratiques le foot. On gomme les différences sociales, que tu sois racisé ou pas. » Dans un autre groupe, Judith interprète une photo similaire comme « tout est possible, ne nous mettons pas de limites. »

Ces réflexions résonnent fortement avec les valeurs de la Ligue de l’enseignement. Comme le rappelle Marie-Line, vice-présidente de la Fédération Bouches-du-Rhône : « La lutte contre les discriminations, le travail sur la citoyenneté, les valeurs de la République, c'est notre moteur. C'est pour ça qu'on est là ensemble : la question de la solidarité et de la laïcité est au cœur de ce travail, permanent, dans tous les projets que l'on pense. »

« la lutte contre les discriminations, le travail sur la citoyenneté, les valeurs de la république, c'est notre moteur. »

Les actions éducatives autour du concours

Pour porter ces questions, la Ligue de l’enseignement Bouches-du-Rhône propose des actions éducatives en amont et en aval de cette journée de jury.  Par exemple, deux classes de CE2 ayant envoyé leurs clichés ont auparavant suivi un parcours d’éducation artistique et culturelle. Les élèves ont ainsi pu s’initier à la pratique de la photo, rencontrer des artistes (conteur, autrice, photographe professionnel), et découvrir une exposition.

Imane a animé d’autres activités dans le cadre d’interventions organisées par l’Usep (Union sportive de l'enseignement du premier degré) par exemple. Elle raconte : « Les enfants tournaient sur plusieurs ateliers et moi j’avais un stand sur les discriminations. J’essayais de leur montrer les différents critères de discriminations, en adaptant, car on ne va pas parler de lanceurs d’alerte à des enfants de 7 ans ! »

Pour s’adapter à son public, la jeune femme privilégie les questions et s’intéresse à leur quotidien : savent-ils ce qu’est une discrimination ? Est-ce que ça leur fait penser à des situations qu’ils ont pu rencontrer ou voir ?

Imane Gomis, volontaire en service civique à la Fédération Bouches-du-Rhône

Quand des élèves de primaire répondent que certains d’entre eux sont mis de côté en raison de leur taille, ou que les filles n’ont pas le droit de jouer au foot, Imane continue à les interroger : « On leur demande pourquoi, et au final il y a des garçons qui restent sur leur position et d’autres qui vont se dire « ah oui c’est vrai, pourquoi ? » En fait on montre en les questionnant qu’il y a des choses qu’on leur a apprises qui ne sont pas forcément logiques. »

« c'est aux enfants qu'il faut s'adresser pour faire évoluer le monde parce qu’ils sont les futurs adultes. »

Si Imane ne sait pas encore si elle continuera à travailler avec le jeune public au long terme, elle affiche une franche conviction quant à l’utilité de ses missions : « C'est aux enfants qu'il faut s'adresser pour faire évoluer le monde parce qu’ils sont les futurs adultes. Même si nous on n'arrive pas à tout faire fonctionner maintenant, peut-être qu’eux y arriveront alors pour moi c’est super important de sensibiliser les enfants en priorité. »

Décider collectivement

Reprenons le cours de la journée : maintenant que chaque sous-groupe possède ses favoris, il est temps de se mettre d’accord en plénière sur les 15 photos de l’exposition itinérante. Celles-ci seront ainsi éligibles aux deux prix du public, l’un pour les participations collectives, l’autre pour les envois individuels. Pour le prix réseaux sociaux, tous les clichés envoyés participent, afin de donner sa chance à chacun et chacune d’être mis en avant.

Si certaines photos font l’unanimité, d’autres suscitent le débat. Chaque membre du jury peut alors défendre son cliché favori devant l’assemblée, ce qui permet parfois de renverser la balance.

Sophie Etienne, administratrice de la Fédération Bouches-du-Rhône et fondatrice de l’association Didac’Ressources

Sophie lance au sujet d’une photo qu’elle défendra tout au long de la journée : « Il y a tellement de lectures possibles de cette image qu’elle me semble fondamentale ! » D’autres soulignent l’équilibre à trouver entre susciter la discussion et demeurer lisible, puisque les critères de sélection mentionnent la clarté du message du photographe. Ce à quoi Sophie répond, sur un ton amusé : « Justement, est-ce que ça ne veut pas dire que le photographe a des points si son message n’est pas clair ? »

Avec comme boussole leur sens de l’humour, leur sensibilité, leur bagage personnel et professionnel, tous les membres du jury participent à la richesse des échanges. La force du dispositif réside également dans l’occasion qu’il offre d’aborder bon nombre des 25 critères de discrimination définis par la loi (couleur de peau, genre, âge…).

À propos d’une photo montrant un enfant atteint d’autisme qui marche dans la forêt, Marie-Line réagit : « Je trouve aussi qu’elle parle vraiment de la discrimination liée aux aptitudes sociales parce que le sport demande d'en avoir justement. » Et si certains se questionnent encore sur la clarté du message, Imane remet le débat en perspective :  « Le fait qu’on ne veuille pas la prendre parce que justement on ne voit pas son handicap je trouve c'est aussi une forme de discrimination. » Touché !

« le fait qu’on ne veuille pas la prendre parce que justement on ne voit pas son handicap je trouve c'est aussi une forme de discrimination. »

Pour cette réflexion, Imane s’inspire peut-être de son expérience de terrain, et l’animation d’ateliers comme « Métier qui toi ? ». Ce jeu propose de relier le portrait d’un individu à sa profession, une manière ludique de prendre conscience de ses propres biais à tout âge. Comme l’explique la jeune femme : « J’insiste beaucoup sur la différence entre stéréotype et préjugé parce que des stéréotypes on en a tous, il n’y a pas d’humain parfait, mais il faut juste être capable de les remettre en question. »

Le vote par Post-it, un incontournable de la prise de décision collective

Le sport comme vecteur d’émancipation

Le thème de l’année inspire tout particulièrement les membres du jury. Selon Marie-Line : « Le sport c’est le plaisir de faire ensemble, et c'est un outil émancipateur individuel et collectif. » Face à une pratique moindre des femmes, elle ne tarit pas d’arguments quant à l’importance d’avoir des modèles, et cite pêle-mêle différentes figures qui l’ont beaucoup inspirée : la gymnaste Nadia Comăneci, la patineuse Surya Bonaly et l’athlète Marie-José Perec.

Marie-Line Lepage-Bagatta, vice-présidente de la Fédération Bouches-du-Rhône

À la question des freins à la pratique sportive, Marie-Line répond : « Je pense que pour le sport ce sont les barrières culturelles. Par exemple, une fille peut faire de la danse, mais un garçon ne peut pas. » Avant d’ajouter : « Quand j'étais directrice d’école j’animais des cours de danse, et je ne pouvais plus demander aux filles de se mettre en short sur scène. Il y a aussi l’enfermement du corps, la mainmise sur le corps des femmes, alors que pour moi le sport ça m’a permis de m’émanciper, de partir de ma famille en disant moi je vais faire ça. » Un retour d’expérience qui donne tout son sens au thème de cette année.

Une fois les 15 photos de l’exposition itinérante sélectionnées, Clotilde souligne l’importance d’une journée comme celle-ci : « On n’est pas sous pression, on a le temps de discuter, chacun se sent libre de donner ses idées donc c’est là où tu te dis c’est bon c’est gagné ! »

Image : Antoine Escuras / Journaliste : Victoria Lemaire

Publié le avril 2024 à 9h56 - Durée : 8 mn

LIEN DE L'ARTICLE : L’art de sensibiliser aux discriminations à travers un concours photo (laligue.media)