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DU COURT AU LONG

DU COURT AU LONG
A quoi vous fait penser ce titre ?
Pourriez-vous deviner instinctivement de quoi il s’agit, sans aucune autre information ?
Si non, la suite de cet article est faite pour vous !

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Le mardi 27 septembre 2022, c’est aux alentours de 20h30, que le cinéma aixois, le Mazarin, a ouvert l’une de ses salles, pour le plus grand bonheur des cinéphiles, à l’occasion du 40ème anniversaire du “Festival Tous Courts”, festival international de courts métrages.
A l’affiche, 5 courts métrages, tous regroupés dans le fameux programme “Du court au long”, mettant à l’honneur le travail des réalisateurs et des réalisatrices qui ont débuté dans l’univers des courts métrages et qui s’en sont servis, tel un tremplin, pour mieux se lancer dans celui des longs métrages.

Hormis cette particularité commune, de prime abord, rien d’autre ne semblait rapprocher ces 5 films aux synopsis bien distincts, et pourtant… En y réfléchissant bien, chaque court métrage nous a offert la possibilité de questionner plus ou moins profondément certains aspects de notre société et des relations que nous pouvons entretenir les uns et les autres, en trouvant à chaque fois un juste équilibre entre comique et tragique.
Le premier, Incident by a Bank (2010), réalisé par Ruben Östlund, est un court métrage d’une durée de 12 minutes, en langue suédoise, sous-titrée en français, relatant l’histoire d’un braquage de banque raté, observé par deux passants qui semblent totalement indifférents à la gravité de l’événement auquel ils assistent. Bien que le réalisateur rende cette scène ridicule, en tournant en dérision les deux braqueurs, notamment en les faisant passer pour des individus maladroits, mal équipés, mal préparés et donc, quasi “inoffensifs”, la question de la place du témoin est soulevée. Le réflexe des deux passants a en effet été de filmer la scène, avec pour objectif d’en tirer profit à l’avenir, plutôt que d’appeler la police. Nous pourrions nous dire qu’ils n’ont pas jugé bon de contacter les forces de l’ordre en raison de la “nullité” des braqueurs, et pourtant, nous connaissons, pour la plupart, de vrais faits divers graves où la majorité des individus ont regardé passivement les victimes, sans les aider. Pour les plus curieux d’entre vous, sachez que ce comportement qui peut être très choquant s’explique par un phénomène en psychologie sociale appelé “l’effet témoin” ou “l’effet spectateur”. Je vous laisse aller chercher si l’envie vous prend ;)

incident by a bank 2

Avec le second court métrage, La règle de trois (2018), c’est le travail de Louis Garrel qui a été révélé. Pendant 18 minutes, nous avons été plongés dans le monde du personnage principal, Louis, qui prend soin de son ami Vincent, souffrant d’une rupture amoureuse très difficile. Malheureusement, Louis néglige la femme qui partage sa vie, Marie, priorisant son amitié pour Vincent à son amour pour elle. Cette dernière exprime d’ailleurs à Louis qu’elle a besoin qu’il lui prouve son amour par des actes, en passant du temps avec elle, et pas que par des paroles futiles. De son côté, Vincent, totalement centré sur son propre chagrin d’amour, ne se rend même pas compte qu’il est au cœur d’une dispute entre Vincent et Marie, les amenant à rompre (bien que la fin suggère qu’ils se
remettent ensemble) et que son ami, Louis, a besoin de lui en retour.

Ce film soulève donc plusieurs questions réparties, selon moi, en deux thèmes.
Premièrement, quelle est la place que chacun accorde à l’amour et à l’amitié, selon ses propres représentations ? Comment réussir à trouver un équilibre de telle sorte qu’on ne blesse et ne néglige ni ses amis, ni ses amours ? Comment réagir si l’on fait de notre partenaire amoureux notre priorité mais que ce n’est pas réciproque ?
Deuxièmement, je vois en ce court métrage une occasion de nous questionner sur notre rapport à la souffrance. Par exemple, à quel point pouvons-nous exprimer notre mal-être à nos amis, afin qu’ils nous aident, sans pour autant les envahir de nos pensées les plus négatives ? Comment faisons-nous pour jongler entre le besoin de parler de ce qui nous blesse à nos proches, et le fait d’être là pour eux, s’ils ne vont pas bien en même temps que nous ? Avons-nous tendance à agir comme Vincent, c'est-à-dire à être centrés sur nos problèmes, sans voir ceux des autres, ou, à être dans l’extrême inverse, en occultant tous nos soucis pour se dévouer entièrement à l’aide d’autrui ?

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Le court métrage suivant, intitulé Mort aux codes (2018), était celui de Léopold Legrand. En 14 minutes, nous avons suivi l’intervention d’une équipe de SAMU. Les trois secouristes, appelés par une dame âgée, en raison du malaise de son mari, se sont confrontés, à des difficultés d’ordre technique pour entrer chez la victime : les codes ! Des codes de partout ! Que ce soit pour passer le premier portail, puis le deuxième, puis la porte d’entrée de l’immeuble, en passant par le badge nécessaire pour prendre l'ascenseur, rien n’a facilité le travail des médecins… Et pourtant, malgré la situation tragique (la victime a fait un arrêt cardiaque létal, le temps que le SAMU arrive à accéder à son appartement), le réalisateur a rendu ce court métrage léger et drôle, notamment à la fin, où l’on voit les trois secouristes être appelés sur une autre intervention, pour aider un adolescent ivre, qui a vomi dans la rue. L’un des trois demande alors “Tu as le code du trottoir ?”, en guise de chute humoristique. On comprend bien ici le parti pris du réalisateur de rire gentiment de faits objectivement tragiques.

Ce film nous fait donc réfléchir non seulement sur les pressions endurées par les professionnels de santé face à des urgences vitales de la sorte, mais aussi sur notre rapport à la sécurité. Je m’explique : la résidence était extrêmement protégée grâce aux multiples portails et portes nécessitant des codes pour les franchir (en vue d’éventuels cambriolages, je suppose). Or, devant le danger immédiat que représentait la crise cardiaque de la victime, ces codes n’ont servi à rien, et lui ont même coûté la vie. Vouloir être surprotégé ne devient-il donc pas délétère dans certaines situations ?

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“Pile poil”, connaissez-vous cette expression ?
C’est en tout cas le nom que Laurianne Escaffre et Yvonnick Muller ont donné à leur court métrage, en 2018. En 21 minutes, nous avons assisté au récit de la vie d’Elodie, une jeune femme, travaillant à la boucherie de son père et finissant son CAP d’esthéticienne en même temps. Cette dernière doit passer, dans deux ou trois jours, son examen de fin d’études, afin de valider son diplôme. Or, pour cela, elle a besoin de trouver une modèle qui n’est pas épilée, afin de réaliser sur elle une épilation, lors de son examen pratique. Malheureusement, toutes les amies d’Elodie sont déjà épilées et s’étonnent même que des femmes puissent passer ne serait-ce que quelques jours avec des poils qui repoussent. La jeune femme est donc totalement désespérée ; elle craint de devoir passer le restant de sa carrière à découper de la viande avec son père, et ne peut pas compter sur le soutien de ce dernier qui semble assez ignorant au monde de l’esthétique. Par hasard, elle retrouve une ancienne amie qui vient juste de se faire quitter sur le plan sentimental et qui lui avoue ne pas s’être lavée ni épilée depuis 15 jours. Elodie voit donc en elle la parfaite modèle, d’autant plus que cette soi-disant amie accepte de l’être. Notez que le terme “soi-disant” trouve toute sa place ici, puisque le matin-même de l’examen, Elodie découvre que cette “amie” s’est épilée dans la soirée, en l’honneur de ses “retrouvailles” avec son ex. Elle se retrouve alors sans modèle pour son examen. Notons que cette pseudo amie n’a même pas exprimé un soupçon de regret ni d’excuse. Totalement désemparée, Elodie en parle à son père, mais elle s’emporte, à cause du stress, et au moment où elle prononce “il me faut des poils papa !”, on voit la caméra faire un gros plan sur le bras poilu de son père (c’est ici que les rires dans la salle ont commencé à se manifester). La suite a été particulièrement comique car le père accepte, forcé par sa fille, de devenir son modèle et on le voit se faire mettre du vernis, se faire épiler et retenir sa douleur, en faisant mine d’apprécier le moment (sa fille l’ayant briefé juste avant). A la fin, on comprend qu’Elodie a réussi son examen car elle enlève son uniforme et sort d’un institut de beauté. Son père l’attend pour la féliciter mais il la voit rejoindre des amis et embrasser un garçon. Cette séquence a été particulièrement touchante puisqu’il regarde sa fille, avec des yeux remplis d’amour et de tendresse, tout en paraissant triste, comme s’il ressentait un pincement au cœur en la voyant grandir et s’épanouir avec d’autres personnes que lui.

Ce court métrage a été celui durant lequel le public a le plus ri, notamment lorsque nous avons vu le père devenir le modèle esthétique de sa fille. Cela nous permet donc de nous questionner sur notre rapport aux normes et aux expressions de genre : pourquoi si je suis un homme boucher, qui incarne la virilité-même, je fais rire les gens quand je porte du vernis et quand je me fais épiler les jambes, alors que si j’étais une femme, cela passerait inaperçu, ou que si j’étais un homme coureur cycliste, cela serait normal que je n’aie pas de poils sur les jambes ? En soi, un homme boucher et un homme cycliste restent des hommes. Et pourtant, on juge l’épilation de l’un plus “bizarre” que l’épilation de l’autre.

Un autre point soulevé par Pile poil est l’égoïsme : la soi-disant amie d’Elodie s’était engagée en lui promettant de ne pas s’épiler pendant un jour, et pourtant, il a fallu qu’elle revoie son ex pour que ses priorités changent, quitte trahir sa promesse. On peut donc se demander à quel point nous faisons passer nos besoins avant ou après ceux des autres, selon les situations.

Enfin, la dernière thématique qui m’a semblé mise en lumière par les réalisateurs est le lien parent/enfant. Ici, le père d’Elodie éprouve un sentiment d’ambivalence : d’un côté, il paraît nostalgique de voir sa fille s’éloigner de lui car elle grandit et construit son propre réseau de son côté, mais d’un autre côté, il ressent une certaine tendresse et une émotion de fierté en la voyant réussir et prendre son envol de la sorte. J’imagine donc que ce film a su parler à un certain nombre de parents qui ont pu se reconnaître à travers ce papa.

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Pour clôturer cette soirée, c’est le court métrage d’une durée de 26 minutes, de Carine May et Hakim Zouhani, Master of the Classe (2018), qui nous a été présenté. Pour faire court, Berry, un professeur de 35 ans vacataire s’occupe d’une classe de primaire d’enfants étrangers -asiatiques principalement-, qui apprennent le français mais qui ne sont pas volontaires du tout. En temps normal, Berry n’y prête pas vraiment d’attention, sauf que ce jour-ci, il se fait inspecter. Son avenir est en jeu: il sera titularisé ou renvoyé. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu : il arrive en retard, la photocopieuse de l’école est cassée, il vole les posters et les frises chronologiques des salles de classe de ses collègues pour décorer la sienne, les enfants se moquent de lui dans leurs langues maternelles et il veut les faire parler en français mais ils refusent et chahutent devant l’inspectrice, etc. Le verdict est sans appel : Berry sera réévalué dans un mois et il sera viré s’il ne met pas en place des changements pédagogiques. A force de le faire enchaîner coup sur coup les galères, la réalisateur a rendu ce personnage aussi drôle qu’attachant. La question de la vocation professionnelle est par ailleurs au cœur de ce court métrage.

Pouvons-nous être épanoui dans notre vie personnelle si nous ne le sommes pas au travail ? N’avons-nous pas la responsabilité envers autrui (ou la société plus largement) de s’efforcer le plus possible d’être compétent dans notre travail, même si ce n’est pas un travail épanouissant ? Enfin, de façon plus spécifique, pouvons-nous faire aimer l’école à des enfants si les professeurs sont eux-mêmes blasés et démotivés d’enseigner ? (Sans jugement de valeur évidemment).

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En conclusion, cet événement organisé en partenariat avec les Cinémas Aixois, a permis au public cinéphile de profiter d’un moment de détente, tout en réfléchissant en profondeur -pour celles et ceux qui en ont eu l’envie- sur divers thèmes sociétaux et relationnels.

Les messages ne passent-ils pas souvent mieux quand nous les abordons en douceur, à travers un film, plutôt que de façon frontale ?

Qui plus est, si vous souhaitez vous laisser tenter par cette expérience, sachez qu’une nouvelle projection de courts métrages, “Godard & Cie”, aura lieu le lundi 24 octobre 2022, au même endroit, au cinéma aixois le Mazarin, sur le thème du cinéma d’auteur de la Nouvelle Vague.

J’espère que vous avez pris plaisir à réfléchir avec moi sur les thématiques abordées dans ces films ;)

Article de Marine LONGUET, bénévole.

 

ADRESSE : LE MAZARIN
6 Rue Laroque, 13100 Aix-en-Provence
40e FESTIVAL TOUS COURTS DU 29.11 AU 03.12 2022
Festival International de courts métrages d'Aix-en-Provence
Association RENCONTRES CINÉMATOGRAPHIQUES D'AIX-EN-PROVENCE
Adresse : 1 Place John Rewald - 13100 Aix-en-Provence | Tel : (+33) 04.42.27.08.64

https://festivaltouscourts.com/lassociation-rca/